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Santé

Cryogénisation : pourra-t-on un jour ressusciter les morts ?

Une adolescente britannique souffrant d'un cancer en phase terminale a obtenu le droit d'être cryogénisée après sa mort, dans l'espoir qu'un jour elle puisse être ressuscitée et soignée. Quels organismes proposent un tel service ? Comment procèdent-ils ? Est-ce du pur fantasme de croire que l'on pourra un jour "ressusciter" ces individus ? Décryptage.

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Photo montrant des cuves isothermes de l'Institut de la cryogénisation, aux États-Unis, dans lesquelles les corps sont stockés.

Des cuves isothermes de l'Institut de la cryogénisation, aux États-Unis, dans lesquelles les corps sont stockés.

© Cryonics Institute

C'est une première en Grande-Bretagne : une adolescente de 14 ans souffrant d'un cancer en phase terminale a obtenu le droit d'être cryogénisée, dans l'espoir que la médecine du futur puisse la ressusciter et la soigner. "Je crois que le fait d'être cryo-conservée me donne une chance d'être soignée et de me réveiller, même si c'est dans plusieurs centaines d'années", s'est-elle réjouit après avoir eu connaissance du verdict de la Haute Cour de Londres. Cette décision a été rendue publique le 18 novembre 2016, un mois après le décès de la jeune fille. Son corps a été transféré aux États-Unis dans l'Institut de la cryogénisation basé dans le Michigan, l'un des deux organismes américains pratiquant la congélation des corps depuis plus de 40 ans. Comment procèdent-ils ? Sera-t-il vraiment possible un jour de "ressusciter" ces individus ?

Près de 300 personnes cryogénisées dans le monde

La congélation des corps, dans l'espoir que les avancées technologiques futures permettent de les ressusciter, n'est pas une idée récente. Le premier volontaire à avoir tenté ce pari un peu fou est James Bedford, un psychologue canadien, congelé en 1967 à sa mort (à l'âge de 73 ans). Après avoir changé quatre fois d'adresse, il repose désormais dans les locaux de la société Alcor, en Arizona, la première du genre, créée en 1972. Depuis, près de 300 personnes auraient suivi cette même démarche, selon les statistiques fournies par les organismes de cryogénisation. Surtout depuis les années 1990-2000, grâce au développement de polices d'assurance-vie spécifiquement dédiées à la cryonie et à l'amélioration rapide de techniques de congélation et décongélation des cellules, notamment les ovocytes.

Pour informer leur future clientèle (et les rassurer sans doute), les organismes de cryogénisation communiquent dans le détail sur le processus. En particulier l'entreprise Alcor. Selon elle, une fois le décès prononcé légalement par un médecin, il n'y a pas de temps à perdre : le corps doit être préparé le plus rapidement possible pour le transport jusqu'à un centre de cryogénisation (idéalement, le corps devrait être transféré dans les six heures après la mort clinique, afin de limiter la dégradation de l'organisme). La circulation sanguine et la ventilation des poumons sont maintenues pour que le cerveau garde sa viabilité. Le corps est refroidi petit à petit pour atteindre les 10 °C et une solution est injectée dans le sang pour éviter sa coagulation.

Cryogénisation : mode d'emploi

Arrivé à destination, le défunt est installé sur un lit de glace. Les chirurgiens ouvrent la cage thoracique, posent des canules (petits tubes en plastique) dans l'aorte (l'artère qui alimente le corps en sang oxygéné) et remplacent le sang par une sorte d'antigel. Cette substance est utilisée depuis une dizaine d'années pour mieux conserver les structures biologiques. "Lorsque l'on congèle des tissus, des cristaux de glace peuvent se former entre les cellules et les endommager, explique à Sciences et Avenir Thierry Jaffredo, spécialiste des cellules souches du Laboratoire de Biologie du Développement de l’Institut de Biologie Paris Seine (UPMC/CNRS/Inserm). L'antigel prend la place de l'eau, ce qui minimise les dégâts." Puis le corps est progressivement refroidi pendant 36 heures dans un bain de glace et de silicone, jusqu'à atteindre la température de -79 °C. Il baigne ensuite dans de l'azote liquide sur une période de 7 à 10 jours, pour atteindre la température de... -196 °C ! "À cette température, il n'y a plus d'agitation moléculaire, les cellules ne devraient pas vieillir... en théorie, souligne Thierry Jaffredo. En théorie puisque les tissus cryogénisés pendant 10 ans peuvent quand même subir quelques altérations, si la technique de préservation avant la procédure n'a pas été parfaitement réalisée..." À ce stade, il ne reste plus qu'à déplacer le plus délicatement possible le corps (qui a pris la consistance du verre) et de le plonger la tête en bas dans un conteneur en acier de 3 mètres de haut, remplis d'azote à -196 °C, dans lequel sont présents d'autres "colocataires". Une technique de conservation qui devrait être efficace pendant des siècles, assurent les organismes spécialisés, jusqu'à ce que la science ait suffisamment évolué pour "décryogéniser" les individus et éventuellement soigner leur maladie, incurable à l'époque de leur mort.

Des obstacles nombreux

Peut-on réellement croire à un tel scénario, qui évoque davantage la science-fiction que la science ? "Pourquoi ne pas imaginer que la science permette une telle avancée un jour, même lointain ?", se prête à rêver Thierry Jaffredo. Mais les obstacles restent selon lui nombreux. "Des bactéries, levures et des cellules d'animaux ont déjà été congelées puis "ramenées à la vie", mais pour les animaux entiers, cela devient tout de suite plus compliqué, à cause des organes vitaux, précise le spécialiste. L'on est capable de refroidir des cœurs de rats à -10 °C et de les faire repartir, mais pour le cerveau, il est difficile d'assurer sa bonne fonctionnalité au moment de la décongélation : la moindre lésion des connexions neuronales peut prendre des proportions imprévisibles et dramatiques sur l'individu." Selon ce dernier, il faudrait réaliser de nombreux tests sur les animaux, sur des durées différentes, afin d'arriver à une "preuve de concept", avant d'expérimenter ce processus sur de plus en plus d'humains... Comme la recherche clinique se fait habituellement, en somme.

En attendant, les entreprises de cryogénisation se gardent bien de garantir des résultats - évidemment. Le contrat avec Alcor stipule qu'il est "impossible de savoir si les patients seront un jour ramenés à la vie". L'Institut de la cryogénisation prend soin de préciser qu'il ne peut garantir, imprévisibilité du futur oblige, le succès de la démarche. Mais les organismes archivent pour chaque patient un dossier médical complet, indiquant notamment la cause du décès, pour les "hommes du futur" qui seraient capables de les réveiller un jour. Ainsi que des éléments biographiques, au cas où les "ressuscités" auraient subi quelques pertes de mémoire en traversant les siècles !

Illégal en France, cher aux États-Unis
En France, la loi du 15 novembre 1887 donne le droit à chacun d'organiser comme il le souhaite ses propres funérailles. Mais en pratique, seules l'inhumation, l'incinération ou le don du corps à la science sont autorisés. La cryogénisation est bien illégale dans l'Hexagone, comme l'a rappelé un arrêt du Conseil d'État publié en 2006, lors de la célèbre affaire du docteur Raymond Martinot, qui avait congelé sa femme tout juste décédée. Aux États-Unis, où la pratique est autorisée, l'Institut de la cryogénisation et Alcor se partagent le marché. Se définissant comme "organismes à but non lucratif", ils n'offrent pas pour autant la cryogénisation, loin de là... Comptez au minimum 28 000 dollars (environ 26 500 euros) pour une congélation du corps chez l'Institut de la cryogénisation (notons que cette somme n'inclut pas les coûts de transport du corps). Selon le Times, les parents de la jeune Anglaise auraient déboursé 43 000 euros pour sa cryogénisation. Chez Alcor, il faut débourser dans les 200 000 dollars (180 000 euros). Mais si l'intéressé ne possède pas cette somme, il peut faire congeler uniquement sa tête, pour la "plus modique somme" de 80 000 dollars (72 000 euros), avec l'espoir qu'une technologie future reconstitue un corps complet par le biais du clonage ou des nanotechnologies... Depuis une dizaine d'années, les États-Unis n'est plus le seul pays à proposer la cryogénisation : une entreprise russe du nom de Kriorus s'est lancée en 2003 sur le marché et propose des tarifs de cryogénisation à partir de 26 000 euros. Une entreprise australienne prévoit d'ouvrir ses portes en 2017.

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